Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LEGAL STRATEGY
24 décembre 2008

Le droit européen de la concurrence empêche-t-il les abus de position dominante ?

La question apparaît incongrue : L'article 82 du Traité de Rome prévoit en effet qu'est "incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci." La réponse évidente devrait donc être que, effectivement, le droit européen ampêche les abus de position dominante. 

Pourtant, la question de l'effet de cette législation mérite d'être posée.

Un droit des ententes et des aides d'Etat cohérent

Le droit européen de la concurrence a pour but de permettre aux entreprises d'évoluer sur le marché européen dans un contexte de concurrence la plus parfaite possible, et ainsi d'empêcher les comportements qui viseraient à réduire la concurrence. Ainsi, sont interdites les ententes entre entreprises ou les aides d'Etat qui auraient pour effet de fausser la concurrence. La législation sur ces deux domaines semble efficace et crée un climat de réelle concurrence au sein de l'Union Européenne. Les mécanismes mis en place par le droit européen et par la Commission Européenne dissuadent les opérateurs de se livrer à des comportements anti-concurrentiels, du fait notamment d'amendes importantes et d'un risque de poursuites évident.

Un droit des abus de position dominante d'origine américaine

L'impression est différente s'agissant des abus de position dominante. Le droit européen trouve son origine dans la législation européenne et notamment dans le Sherman Act de 1890 et le Clayton Act de 1914, qui avaient pour but de contrôler les excès de la révolution industrielle et notamment les cartels et monopoles. C'est sur ce fondement qu'en 1911 le monopole établi par Rockfeller, la Standard Oil Company, a été démantelé en 33 sociétés et a donné lieu à une situation de concurrence qui existe encore entre Mobil, Exxon ou Esso (Esso étant la reprise de l'activité principale de la société, et reprenant donc ses initiales S.O.). Aux USA, le but était ainsi de s'attaquer aux excès, tout en reconnaissant le rôle bénéfique que pouvait avoir un champion national pour le rayonnement des USA. Ce positionnement 'stratégique' des USA a ainsi conduit à permettre le développement de sociétés importantes disposant d'un réelle position de force sur le marché, pourvu que ces sociétés participent au bien être commun, comme cela a pu être le cas pour Microsoft ou récemment Google. Même lorsque Microsoft franchit la ligne rouge en détruisant ses concurrents Netscape par le biais d'une vente liée Windows 95/Internet Explorer ou Apple par le biais d'un contrat de commercialisation exclusive avec la quasi-totalité des fabricants d'ordinateurs, le gouvernement américain ne condamne la société que du bout de lèvres et, Microsoft adaptant son comportement, ne prononce finalement pas le démantèlement dont le régulateur américain avait brandi la menace...

Une philosophie différente du droit européen et du droit américain s'agissant des entreprises en position dominante

Face à cette manière de gérer la concurrence, le droit européen est en phase avec le droit américain concernant les cartels ou ententes, mais adopte une philosophie différente d'agissant des abus de position dominante. L'abus de position dominante est en effet conçu comme le prolongement de l'entente et vise à permettre une réelle concurrence sur le marché. Les autorités européennes font prévaloir le respect de la concurrence sur le développement de champions européens, élément qui est souvent critiqué par les commentateurs. Or, le droit européen des abus de position dominante, inspiré par la législation américaine, combiné aux besoins du commerce international de maintenir le rang européen dans la compétition mondiale, n'est pas adapté à un tel objectif. La commission européenne, confrontée à un groupe mondial, se trouve ainsi en étau entre une législation contraignante et une nécessité de maintenir le commerce européen. De plus, le droit européen ne permet que d'intervenir face à un abus important et par des mesures radicales d'amende, d'injonction et de démantèlement. Il ne permet pas une réponse graduée à des comportements ponctuels. Les entreprises qui opèrent sur le sol européen connaissent cette attitude du tout ou rien. Elles apprennent quelles sont les limites à ne pas franchir mais savent que la Commission Européenne sera mal armée pour lutter contre un comportement ponctuel d'importance "mineure".

Illustration : Le cas I-Phone

De ce point de vue, je ne peux qu'être en total accord avec le commentaire qui a suivi mon dernier billet relatif à l'I-Phone et la décision du conseil de la concurrence. Le droit français de la concurrence, selon un raisonnement analogue au raisonnement européen, permet d'annuler un accord entre Orange et Apple au motif que cet accord serait contraire aux règles de la concurrence et renforcerait la position dominante d'Orange. Cependant, la sanction parait bien faible. A supposer que cette interdiction soit validée en appel, l'accord a dores et déjà donné un avantage concurrentiel important à Orange et le risque juridique pris par Orange et Apple est minime. Analysée sous le prisme du management du risque juridique, et bien que ce comportement s'il était volontaire soit contraire à l'éthique, Orange et Apple auraient ainsi tout intérêt à conclure ce partenariat, quand bien même le risque d'annulation de ce partenariat serait important...

Quelle solution en Europe ?

Il est difficile pour autant de proposer une solution idéale. Si on reprend l'analyse en termes de management du risque juridique, afin qu'une entreprise en position dominante soit découragée d'avoir recours à un comportement anti-concurrentiel, il faudrait mettre en face de l'avantage généré par le comportement un risque de sanction adéquat, qu'il s'agisse d'une sanction de nature pénale tel qu'un amende (le comportement anti-concurrentiel étant contraire aux règles de vie en société) ou de nature civile tel que des dommages et intérêts punitifs (Le risque d'indemnisation important en cas d'action d'un concurrent ayant un effet dissuasif important, comme l'a montré la transaction entre Microsoft et Sun Microsystem aux USA, qui a eu finalement plus d'effet que l'action du département de la justice...). A défaut, l'avantage économique induit par le comportement illégal de l'entreprise pourrait bien l'emporter sur l'éthique et la moralité de ses dirigeants...

Publicité
Publicité
Commentaires
LEGAL STRATEGY
Publicité
LEGAL STRATEGY
Newsletter
Publicité