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LEGAL STRATEGY
12 novembre 2012

L’encadrement des loyers : entre effectivité du droit et efficience

Le fait qu’une loi soit adoptée et donc effective n’entraîne pas pour autant qu’elle soit efficiente. En effet, il faut encore que cette législation atteigne l’objectif recherché. Le vote du décret relatif à l’encadrement des loyers constitue un parfait exemple de cette problématique.

L’efficience d’un texte peut dépendre de plusieurs éléments. Le texte doit se révéler applicable en pratique, ne pas pouvoir être contourné par les acteurs économiques, et atteindre l’objectif recherché par le régulateur qui a initié la norme.  

Premièrement, le texte peut se révéler difficilement applicable en pratique. C’est ainsi que la presse se fait l’écho du mécontentement tant des bailleurs que des locataires face à l’application de ce texte d'encadrement des loyers [Note1]. Pour les bailleurs, le blocage des loyers est en effet une solution contre-productive, qui risque de diminuer l’offre de logements disponibles dans des secteurs qui –c’est ce qui explique les loyers élevés- sont déjà en tension. La limitation de l’augmentation du loyer en cas de travaux réalisés pourra elle aussi être contraire à l’objectif de rénovation de l’habitat avancé par les lois Grenelle. Par ailleurs, comme le souligne Philippe Briffaut, le président de l’Union nationale de la propriété immobilière dans le Nord-Pas-de-Calais, le blocage des loyers ne répond en rien aux problématiques que se pose le bailleur, qui « veut seulement avoir des garanties contre les impayés et les dégradations » car « il a peur d’être confronté à un locataire qui ne paie pas son loyer et devoir batailler pendant deux ans pour l’expulser », période pendant laquelle le bailleur devra assumer charges et taxes foncières en l’absence de revenu locatif.
Pour les locataires également, le décret fait preuve d’une relative inefficience. Le décret est pourtant clair : si le bailleur reloue son logement, il ne pourra pas dépasser l’évolution de l’indice IRL et, en cas de travaux, ne pourra répercuter qu’une partie de l’augmentation de la valeur locative qui en résultera. Si le décret, sur le papier, est réellement à même de protéger les locataires contre l’augmentation du loyer, tel n’est pas le cas dans la réalité. En effet, comme le souligne Fabien Podsario-Regnier, le président de la Confédération nationale du logement du Nord, les freins sont nombreux à la protection efficiente du locataire. Nombre de locataires ne connaissent pas la réglementation et ne peuvent donc pas en bénéficier. De plus, lorsque le locataire est informé, les modalités de la protection sont malaisées à mettre en œuvre. Le locataire devra en effet faire une demande formelle de justification de montant du loyer auprès du bailleur. Or, la plupart des candidats locataires seront réticents à se mettre dans une position délicate en entrant dès la conclusion du bail dans un bras de fer avec le bailleur, ceci n’étant donc envisageable le plus souvent qu’une fois le bail conclu. Même si la demande est réalisée, le locataire n’aura que peu de moyens de vérifier la réalité des informations transmises par le bailleur. La CNL propose, afin de conférer une efficacité plus importante à la norme, une obligation de communication systématique du loyer précédent par le bailleur qui, effectivement, résoudrait une partie de la problématique de l’efficience de cette norme mais entraînerait un formalisme de plus dans la conclusion des baux.

Deuxièmement, il peut exister des moyens de contournement du texte qui nuiront à son efficacité. Les auditeurs de BFM business intéressés par le domaine de la bourse se souviennent des réactions immédiates des gérants lors de l’interdiction des ventes à découvert sur les valeurs bancaires, qui expliquaient qu’il suffisait de vendre à découvert d’une part l’indice du CAC 40, et d’autre part acheter à découvert l’ensemble des valeurs non-bancaires, pour en réalité aboutir au même résultat de vente à découvert des seules valeurs bancaires. De même, s’agissant du décret relatif au blocage des loyers, il aura suffi à certains d’une analyse du texte pour constater que celui-ci ne s’applique qu’au cas où un logement était loué nu à usage d’habitation puis reloué également pour le même usage conformément à la loi de 1989. Ainsi, il suffirait d’intercaler pendant l’été une période de location meublée ou saisonnière, facile à réaliser en région parisienne, pour exclure la législation et pouvoir louer à un prix libre dès la rentrée. Il faudra bien entendu dans ce cas faire attention à justifier ceci afin d’éviter un recours pour fraude et une requalification par le juge. Le décret n'est de plus pas aussi explicite et le juge pourrait donc appliquer la réglementation même si le bail précédent n'était pas soumis à la loi de 1989.

Troisièmement, l’objectif d’une législation peut enfin être la communication du gouvernement ou du législateur. La mesure de l’efficience de la norme ne se calculerait donc pas exclusivement à la réalité de sa mise en application. De ce point de vue, on pourrait probablement parler d’efficience du décret d'encadrement des loyers. En effet, il peut arriver qu’un texte soit adopté par le législateur en parfaite connaissance de son inefficacité relative, mais dans le but de contenter les électeurs. Les exemples sont légion de lois adoptées dans un but électoral ou de communication, mais qui ne reçoivent jamais les décrets d’application qui leur confèreraient leur efficacité. Lors de la campagne électorale, le Président de la république François Hollande avait fait sien le crédo de la protection des locataires contre les bailleurs. Il convenait donc d’agir rapidement et, dès avant les grandes vacances, d'adresser un signal fort à ses sympathisants et électeurs, alors que le vote d’une loi nécessitait le temps et la discussion parlementaire. L’adoption d’un décret était une solution rapide. Même si celle-ci ne s’appliquait pas en réalité, ce qui pourrait éviter une chute de l’offre de logement, l’adoption du décret permettrait ainsi de préparer sereinement l’adoption de la grande loi relative au bail que les experts annoncent pour le printemps 2013, et placer le législateur dans une position de force dans la négociation face aux bailleurs du fait de ce décret adopté initialement pour une année.

L’effectivité de la norme ne se confond donc pas toujours avec l’efficience de celle-ci.

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Olivier BEDDELEEM
Maître de conférences à l’EDHEC Business School
Directeur de l’horizon Entreprendre Espeme
beddeleemo@gmail.com
03 20 45 15 00
 
[Note1] Charlotte MALBRANQUE, « Encadrement des loyers : un nouveau dispositif mal perçu », Direct Lille, Mardi 30 octobre 2012, p. 3

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