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LEGAL STRATEGY
22 novembre 2012

Définitions juridiques et management du risque juridique

Pour les opérateurs économiques, la distortion entre le sens commun des mots et leur sens juridique doit être maîtrisée afin de circonsrire le risque juridique et le coût lié à l'application de la norme. Pour le législateur comme pour le juge, l'interprétation des termes et le sens conféré aux termes juridiques influencera l'impact social et économique de cette norme.

Parfois, c'est le législateur qui donne un sens à la norme qui se distingue du sens courant. Un premier exemple est celui de la livraison. Selon le code civil, le vendeur doit livrer la chose à l'acheteur. L'article 1604 du code civil est même plus clair en décidant que "La délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur". L'interprétation de cette obligation par le sens courant signifierait que le vendeur doit donc transporter le bien vendu jusque chez l'acheteur. Or, tel n'est pas le cas puisque l'article 1609 du code civil continue en décidant que "La délivrance doit se faire au lieu où était, au temps de la vente, la chose qui en a fait l'objet, s'il n'en a été autrement convenu". Contrairement à ce que laisserait entendre le temre courant d'obligation de livraison ou de délivrance par le vendeur, c'est donc bien l'acheteur qui doit se rendre chez le vendeur pour prendre livraison du bien ou payer l'acheminement du bien depuis l'adresse du vendeur jusque sa propre adresse. De même, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, selon l'article 1386 du code civil, le "producteur" est responsable du dommage causé par un défaut de son produit.  Cependant, ici aussi, la définition légale se révèle éloignée de celle qu'en apporterait le sens commun. En effet, l'article 1386-6 du code civil continue en restreignant le champ d'application aux seuls producteurs professionnels, mais également en définissant comme producteur celui qui, sans avoit "produit" le bien, approse sa marque sur celui-ci, ou celui qui importe le produit. L'article 1386-7 du code civil va encore plus loin en définissant comme producteur, lorsque le véritable producteur ne peut pas être identifié, le vendeur ou le loueur du bien. Ici encore, le sens juridique du terme sera donc éloigné du sens commun, ce qui rendra difficile l'application de la norme pour le non-juriste qui, contrairement à l'adage, pourrait légitimement ignorer la loi bien qu'il l'ait consultée... L'effet d'une telle distortion entre le sens courant du terme et son acceptation juridique aura bien entendu des conséquances économiques qui pourront se révéler importantes. L'acheteur devra inclure dans son budget le coût de l'acheminement des marchandises et organiser ledit acheminement. L'importateur ou le vendeur devront inclure dans leur risque économique la probabilité de voir leur responsabilité engagée en tant que producteur. L'étendue de la définition juridique retenue aura un impact direct également pour le législateur. Ainsi, lorsque celui-ci déclare que l'entrepreneur qui vend les parts de son entreprise sera imposé sur la plus-value à un taux moindre que l'investisseur non-entrepreneur, la définition retenue par le législateur de "l'entrepreneur" aura un impact direct sur les recettes fiscales de l'Etat. Et la solution envisagée de considérer comme entrepreneur celui a détenu au moins 10% du capital de son entreprise pendant 2 ans et possède encore au moins 2% lors de la cession [Note1] n'a aucun rapport avec la définition que tout citoyen retiendrait de ce qu'est un "entrepreneur".

Parfois, c'est le juge ou le régulateur qui conférera un sens restreint ou étendu à un terme, ce qui peut conduire à s'éloigner du sens courant, afin d'adapter l'application du droit au contexte social ou économique, ou de limiter l'effet d'une norme. L'évolution du droit de la vente en constitue une belle illustration. Depuis 1804, le code civil prévoir que vendeur doit garantir l'acheteur contre les vices cachés de la chose qu'il vend. L'article 1643 du code civil permet au vendeur d'exclure sa garantie par une clause du contrat, pourvu qu'il en connaisse pas le vice. L'article 1645 du code civil ajoute que "Si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur". Ainsi, la connaissance du vice aura un impact important sur l'ampleur de la responsabilité. Or, ici aussi, la définition juridique est fort éloignée de la définition accordée par le sens courant. En effet, les tribunaux français ont ces dernières années reconnu une présomption irréfragable de connaissance du vice à la charge du vendeur professionnel.  Celui-ci sera donc réputé connaître le vice, même s'il apporte la preuve qu'il n'en avait aucune connaissance. L'objectif du juge est de se conformer à l'évolution consumériste de la société française. Alors que depuis 1804 les parties à un contrat étaient présumées égales, il existe en effet aujourd'hui un postulat d'inégalité entre les professionnels et consommateurs, qui permettrait aux professionnels d'imposer leurs conditions contractuelles aux consommateurs. Afin de répondre à cette évolution de la société, les juges ont ainsi tordu le sens de termes pourtant clairs, et décidé que le vendeur professionnel avait connaissance du vice, quand bien même il pouvait prouver le contraire ... De même, la définition de la notion de "fiction" télévisuelle est influencée par des considérations extérieures à la simple restitution du sens courant de ce terme. On définit aujourd'hui une fiction télévisuelle dans le sens courant comme un téléfilm qui met en scène une histoire inventée. Elle se distingue ainsi des documentaires ou des émissions de variété ou de télé-réalité. Or, depuis plusieurs mois, se sont développés des programmes de Scripted Reality. Faisant appel à des comédiens amateurs, il s'agit de demander à ceux-ci de jouer un script qui a été inventé, mais dans les conditions de tournage d'une émission de télé-réalité. On se situe ainsi à la frontière entre la télé-réalité et la fiction. La question de pose de savoir à quelle catégorie ces programmes doivent se rattacher. Or, la définition qui sera retenue par l'autorité régulatrice aura une influence importante tant sur le plan économique que sur celui de la qualité des programmes. En effet, les chaînes de télévision doivent contribuer à la diffusion de fictions. Le fait de classer les programmes de scripted reality parmi les fictions aurait pour effet de permettre aux chaînes de bénéficier de ces programmes bon marché et dont la qualité artistique pourrait être remise en cause, au détriment des autres fictions dont le coût de tournage est beaucoup plus élevé.

Les définitions en droit ont ainsi un impact important sur l'environnement social et économique dans lequel elles sont appliquées. Elle influcenceront dont la mesure du risque juridique et économique lié à l'application de la norme.  


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Olivier BEDDELEEM
Maître de conférences à l'EDHEC Business School
Directeur de l'horizon Entreprendre ESPEME
03 20 15 45 00
beddeleemo@gmail.com

[Note1] http://blog.bforbank.com/fiscalite/2012/10/29/la-nouvelle-fiscalite-des-valeurs-mobilieres-post-vote-des-deputes/

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