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LEGAL STRATEGY
24 juillet 2012

Free mobile, SFR et la téléphonie mobile, acte II

Xaviel Niel a triomphé de l’oligopole des télécom par une stratégie juridique. Utilisant l’argument du droit de la concurrence, il a imposé au gouvernement de lui délivrer une nouvelle licence de téléphonie, et interdit aux opérateurs concurrents de coordonner leur réponse.

Naturellement, c’est par l’outil juridique que Xaviel Niel continue sa « guerilla contre les opérateurs historiques ».

Dès le mois de mai 2012, dans une interview à Challenges [Note1], Xaviel Niel faisait le point sur l’arrivée du trublion des télécom, et soulignait le fait que les opérateurs avaient une politique de crédit déguisé. Quelques semaines plus tard, Free annonce qu’il a assigné SFR devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la concurrence déloyale "pour faire reconnaître la nullité de ce type de contrats" mêlant abonnement, téléphone et subvention. Dans une interview à Capital, le fondateur de Free détaille son argumentation [Note2]. 

En effet, le modèle de la téléphonie mobile en France fonctionne sur l’octroi d’un abonnement et, en outre, d’un téléphone « offert » en cas d’engagement de la part du client pour une durée de 12 à 24 mois. Comme l’annonce Capital, en 2012, 90% des abonnements ont été souscrits selon cette formule. Bien entendu, l’opérateur doit acheter ce téléphone. Cette astuce a permis aux opérateurs de proposer des forfaits seuls sans engagement et des forfaits avec engagement et téléphone, et ainsi de ne pas être en violation de la législation française relative aux ventes liées. Mais en réalité, selon Xaviel Niel, "la pratique actuelle qui mélange le prix du service, celui du terminal et une prétendue subvention est une façon de faire du crédit à la consommation déguisé ... sans se soumettre aux contraintes légales" (Capital, p. 9).

La vente à crédit n’est pas interdite. Toutefois, le droit de la consommation protège le consommateur. D’une part, le taux de crédit ne peut pas être usuraire. Le taux de l’usure pour un prêt à la consommation de moins de 1524 euros est actuellement de 20,25% [Note3]. D’autre part, lorsque le vendeur accorde un crédit gratuit, l’offre de vente indique « indique le montant de l'escompte sur le prix d'achat éventuellement consenti en cas de paiement comptant et précise qui prend en charge le coût du crédit consenti gratuitement » [Note4]. Tel n’est aujourd’hui pas le cas.

L’argumentation dévoilée par Xaviel Niel dans son interview est que le crédit est pratiqué à un taux usuraire. C’est bien entendu également un argument commercial pour démontrer que les opérateurs de téléphonie bénéficient de marges importantes sur la fourniture du téléphone dans le cadre d’un engagement. Les concurrents de Free continuent en effet avec un certain succès à utiliser le bas prix du téléphone dans le cadre de tels forfaits comme éléments différenciants par rapport à leur  nouveau concurrent.

Allié à l’argument du crédit gratuit, cela devient imparable pour les opérateurs. Pour chacune de leurs offres, les opérateurs devront en effet faire ressortir le prix du téléphone nu, le taux de crédit, et s’assurer que ce taus ne soit pas trop élevé. Cela conduira à mettre en place des outils de comparaison qui pourront être utilisés par les concurrente, et notamment FREE, mais aussi par les comparateurs de prix qui jusque maintenant ne disposaient pas de cette information. Cela permettra également plus facilement aux clients de dissocier l’acquisition de leur téléphone de la souscription de leur abonnement de téléphonie mobile, au grand bénéfice de FREE et de ses tarifs low cost.  

Si Xavier Niel réussit, cela aurait pour effet de mettre à mal l’ensemble du modèle économique de ses concurrents, ce qui pourrait rendre encore un peu plus difficile la réponse commerciale à l’arrivée de Free dans la téléphonie mobile. Avec toujours la même technique de la part de FREE : une pression juridique sur ses concurrents, une menace ou une réelle assignation, et surtout un important buzz autour de cette annonce afin de marteler le positionnement de trublion acquis dans les box mobiles depuis les campagnes « crétin.fr ». Un nouvel exemple de la stratégie juridique et judiciaire déroulée par Xaviel Niel pour imposer son nouvel opérateur comme acteur majeur de la téléphonie mobile en France.

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Olivier BEDDELEEM

Maître de conférences à l'EDHEC Business School

Directeur de l'horizon Entreprendre ESPEME

03 20 15 45 00 

beddeleemo@gmail.com

Merci à Cédric Manara, professeur à l’EDHEC Business School, d’avoir attiré mon attention sur ce nouveau rebondissement.

[Note1] « Un succès plus fort que prévu », interview de Xaviel Niel, Challenge, 16 mai 2012, n° 301  

[Note2] Christophe David et Gilles Tanguy, « Exclusif : FREE porte plainte contre SFR », Capital, 19 juillet 2012, http://www.capital.fr/a-la-une/actualites/exclusif-free-porte-plainte-contre-sfr-741894  

[Note3] http://www.cbanque.com/credit/taux-usure.php#

[Note4] Code de la consommation, article L. 311-27. Voir aussi C. Collard et C. Roquilly, protection des consommateurs face aux pratiques commerciales agressives, in Droit de l'entreprise, Lamy, 2011-2012, n° 1490

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