Le difficile management juridique du fait d'autrui

18 janvier 2008. La Société Générale découvre que l'un de ses traders a pris des positions de plusieurs dizaines de milliards d'Euros, très largement au delà de ses autorisations [note1]. Face au risque potentiel, la banque décide de déboucler ces positions sur une perte de près de 5 milliards d'Euros. Lors du procès, Jérôme Kerviel tentera de convaincre qu'il n'a pas agi avec une intention frauduleuse et qu'un tel comportement était même, implicitement, incité par le mode de fonctionnement de la banque. Même si le tribunal reconnaissait une fraude, il semble exclu que le trader puisse un jour rembourser la perte subie par la banque. Ainsi, comme cela arriva pour l'une des plus grandes banques anglaises il y a une dizaine d'années, la négligence d'un salarié aurait parfaitement pu entraîner la disparition de la société générale. 

Alors qu’une personne peut mettre en œuvre les moyens pour limiter et manager son risque juridique, le fait du tiers peut être beaucoup plus difficile à gérer. Deux exemples récents, qui ne relèvent pas du monde de l’entreprise, permettent de fournir des exemples de cette difficulté.

Pendant l’été 2010, une association organise un camp de vacances à destination de jeunes mineurs de 12 à 18 ans en Hongrie. Le dirigeant de l’association embauche un animateur pour encadrer le groupe. Il est prévu que le groupe loge dans une auberge de jeunesse. Suite à une bagarre et des dégradations, le groupe est exclu de l’auberge de jeunesse et passe la nuit dehors, cela suscitant la colère et l’émoi des familles. L’association doit en urgence convaincre une compagnie de bus d’accepter de rapatrier les jeunes, le bus étant lui aussi saccagé. Immédiatement, la presse condamne le comportement de l’association qui jusque là avait toujours eu un comportement exemplaire [Note2]. Les actions en responsabilité débutent. Ajoutées à la perte de crédibilité de l’association, il est probable que cette association ne puisse pas se relever de ce fait dont les raisons peuvent être multiples (négligence du dirigeant de l’association, incompétence de l’animateur, caractère ingérable du groupe ou de certains de ses membres, événement extérieur déclencheur). Quoi qu’il en soit, l’association sera responsable du fait de ses salariés (dirigeant et animateur) et du fait du groupe (et comme dans tout mouvement de groupe, il semblera difficile d’identifier un responsable parmi le groupe pour engager sa responsabilité).

Juin 2010, deux jeunes de 15 ans piratent le jeu Dofus et fournissent une version gratuite de cette version simplifiée (contre un abonnement de 5 euros pour la version légale). Ils réunissent rapidement 200.000 joueurs réguliers. Ils en profitent pour lancer une boutique en ligne et réalisent un bénéfice de 80.000 euros. Dofus porte plainte et la police identifie les contrefacteurs [Note3]. Dofus se porte partie civile et demandera réparation de son préjudice, qui représente le montant des abonnements perdus du fait de cette version pirate, qui s’élèverait si on estimait qu’un joueur sur 4 aurait souscrit un abonnement à 60x50.000 soit 3 millions d’euros par an ! (estimation non officielle). Selon l’article 1384 du code civil, les parents sont responsables du fait de leurs enfants. En cas de condamnation, c’est donc la résidence des parents et l’ensemble de leurs biens qui seront saisis pour faire face aux erreurs de jeunesse de leur enfant, comme la Société Générale sur le même fondement de l’article 1384 du code civil a payé 5 milliards d’Euros pour faire face aux conséquences d’une erreur de jeunesse d’un de ses traders…

Plus d'informations sur la stratégie juridique des entreprises : http://legalstrategy.canalblog.com

Olivier BEDDELEEM

Enseignant-chercheur à l'EDHEC Business School

beddeleemo@gmail.com

[Note1] http://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%A9r%C3%B4me_Kerviel

[Note2] http://www.nordeclair.fr/Actualite/2010/08/31/camp-en-hongrie-l-avenir-de-la-structure.shtml

[Note3] http://www.nordeclair.fr/Actualite/2010/09/01/le-jeu-dofus-contrefait-par-deux-ados.shtml